Pérou Noir : la première exposition collective d’art visuel afro-péruvien à Paris

Canela Laude Arce
08/12/2025

L’exposition Pérou Noir, présentée à l’espace Little Africa à Paris jusqu’au 15 décembre 2025, est la première exposition collective d’art visuels afro-péruviens contemporains qui réunit des artistes afro-péruvien.nes de plusieurs générations. 

Au Pérou, la culture afro-péruvienne, et notamment les arts visuels afro-péruviens, sont encore aujourd’hui largement invisibilisés. A l’étranger et en France, l’existence d’une communauté afro-péruvienne est très peu connue.

Milena Carranza Valcárcel est une coordinatrice de projets culturels et photographe qui travaille depuis plus de 10 ans autour de la culture et de l’art afro-péruvien. Elle a créé le projet “Perú Decolonial” pour promouvoir la culture péruvienne en France depuis une perspective décoloniale, souhaitant ainsi changer ce manque de visibilité et relever le défi de réunir des artistes de la scène historique et émergente des arts visuels afro-péruviens. 

L’exposition Pérou Noir se réalise à Little Africa, un espace situé dans le quartier de la Goutte d’Or dans le 18ème arrondissement de Paris, où elle choisit en même temps de créer un dialogue entre la communauté afro-péruvienne et les communautés afro-descendantes en France. 

Dans cette exposition, elle réunit le travail de douze artistes, certains avec une longue trajectoire et d’autres émergents, et partageant tous une même afro-péruvianité comme origine et comme fil conducteur de leurs œuvres : Herbert Rodríguez, Joan «Entes » Jiménez Suero, Octavio Santa Cruz Urquieta, William Cordova, Carlos Alberto Ostolaza, Angie Cienfuegos, César-Octavio Santa Cruz, Roberto Chevez, Amador « Chebo » Ballumbrosio, Jesús Sosa Lozada, ainsi que Patricia Romano Curo et Dedeé Mandros.

Petite histoire de l’art visuel afro péruvien

Alors que les arts visuels afro-péruviens commencent progressivement à être reconnus, il existe encore très peu de recherche sur le sujet. « On ne le prend pas en compte, c’est très nouveau », reconnaît l’artiste César Octavio Santa Cruz, plasticien installé à Bordeaux, docteur en histoire de l’art, et l’un des rares à avoir écrit autour de ce sujet. Ses œuvres présentées dans Pérou Noir appartiennent à sa série Ritmos de la esclavitud, commencée en 2012. Inspirée du poème Ritmos negros del Perú, de son oncle, le musicien afro-péruvien emblématique Nicomedes Santa Cruz, la série relie l’histoire de l’esclavage colonial aux traditions afro-péruviennes actuelles.

« Au début, je travaillais beaucoup sur la tradition afro-péruvienne. Puis j’ai ouvert la série à la question de la diaspora afro-descendante , aux droits civiques, au commerce triangulaire, à la discrimination », raconte-t-il. Pour lui, rendre cet héritage visible est un choix : « Il faut faire connaître l’art afro-péruvien, en France ou ailleurs. Au Pérou, on valorise la musique, la danse, la gastronomie, mais jamais les arts visuels ». Un exemple d’artistes exposés au sein de Pérou Noir qui a eu une majeure reconnaissance internationale ces dernières années est Herbert Rodriguez, artiste visuel qui a représenté le Pérou à la Biennale de Venise en 2022.

L’artiste Entes, qui est un artiste afro-péruvien actuellement basé à Miami, partage le constat de Cesar Octavio. Il explique que son engagement est né d’un manque : « En tant que personne afro-descendante et péruvien, je ne me suis jamais senti pleinement reconnu. Mon travail porte donc sur l’identité afro-descendante au sein de la réalité péruvienne » Son travail, qui lie art urbain, peinture et sculpture, explore l’héritage afro-péruvien et andin. Cette pluralité identitaire s’observe dans sa peinture « Jarana con charango y guitarra », où sont tracés les profils de personnes afro-andines, et que l’on peut voir dans l’affiche de l’exposition Pérou Noir. Entes dit avoir commencé à créer un contrepoint au mouvement artistique de l’indigénisme des années 20 au Pérou, initié par le peintre José Sabogal. C’est ainsi qu’il a commencé sa recherche sur ce qu’il a appelé néo-indigénisme, et qui a résulté en sa pratique actuelle. Selon Entes, cette exposition arrive à un moment crucial : « On est en train d’ouvrir une porte pour l’art afro-péruvien. Mais il faut de la persévérance, car c’est important de continuer à le mettre en avant ». 

Racisme, isolement et marginalisation

Au Pérou, grandir en étant afro-péruvien.ne peut signifier une difficulté à trouver sa communauté, car celle-ci est dispersée et peu visibilisée. Entes et Dédeé, photographe afro-péruvienne, partagent l’impression que pendant trop longtemps il n’y avait pas d’espaces de communauté, ni des lieux de transmission culturelle. Aujourd’hui, de nouveaux collectifs se créent, tels que Afrocentro, qui font émerger de nouveaux espaces de communauté. 

L’artiste Dédeé Mandros expose une photographie issue de sa série Heridas de piel, qui aborde les violences faites aux femmes au Pérou, et souligne la dimension engagée de son œuvre : « Mon travail a une dimension politique. En tant que femme et que personne racisée en Amérique latine, on éprouve énormément d’injustices. L’art est une voie pour les rendre visible et les dénoncer ». Elle ajoute : « Pour moi, c’était essentiel de rencontrer d’autres artistes afro-descendants. Je suis venue en Europe aussi pour créer ces liens entre les histoires de la diaspora noire en Amérique latine et celles de la diaspora africaine en France. ». Elle partage également sa réflexion sur les enfances afro-péruviennes à partir d’une série de cyanotypes présentés dans l’exposition. 

« On ne nous enseigne pas notre histoire à l’école. On ne grandit pas avec la fierté de notre identité. Il faut reconnaître les enfances afro-péruviennes, leur importance, leur place », nous confie-t-elle. Avec sa série de cyanotypes, où elle photographie des enfants afro-péruvien.nes, elle redonne une place aux enfances afro-péruviennes et insiste sur le besoin de politiques publiques pour une meilleure éducation à l’histoire afro-péruvienne, pour que cette identité devienne une source de fierté et de connexion.

Vers une communauté artistique afro-péruvienne ?

Nous assistons actuellement à la création de nouveaux espaces culturels et artistiques afro-péruviens, ainsi qu’à l’émergence d’une scène d’artistes contemporains afro-péruviens. A la suite de cette première génération d’artistes qui a ouvert le chemin, ces artistes contemporains reprennent le flambeau et structurent de façon progressive un réseau des arts visuels afro-péruviens. Milena Carranza évoque notamment le nouveau dynamisme qui existe à Lima : « Depuis quelques années, il y a de nouvelles expositions autour de l’art afro-péruvien. Des groupes comme Afro Centro créent des espaces d’échange. C’est encore fragile, mais ça grandit ».

Elle souligne aussi le travail de recherche essentiel mené par des artistes comme Patricia Romano, qui écrit une thèse sur les artistes femmes afro-descendantes au Pérou, malgré la rareté des archives : « Historiquement, les femmes noires, indigènes ou métisses ne pouvaient pas étudier l’art. Elles devaient s’occuper de la maison. Comment créer dans ces conditions ? » 

Dans ce contexte, l’exposition Pérou Noir prend un sens nouveau, en créant un espace de visibilité et de dialogue avec la culture péruvienne, mais aussi avec d’autres cultures afro-descendantes. D’où le choix de Little Africa, un lieu culturel qui a pour particularité de valoriser les cultures africaines et afro-diasporiques en France. Selon Milena Carranza, le public a entendu le message :  « Beaucoup de personnes m’ont écrit après l’ouverture de l’exposition. Certains ont découvert des artistes qu’ils ne connaissaient pas, d’autres ont pris conscience qu’on n’avait jamais parlé d’art visuel afro-péruvien ». Milena évoque son envie d’amener cette exposition au Pérou, afin qu’elle soit aussi vue et interprétée depuis le contexte péruvien. 

Entre Paris et le Pérou, de nouveaux dialogues, questions et espaces se tissent et participent à structurer la scène naissante des arts visuels afro-péruviens. Pérou Noir constitue une étape importante de ce chemin de construction et de reconnaissance d’une des scènes artistiques les plus méconnues des arts contemporains péruviens.

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