Cartografías para navegantes de tierra

Mettre les voiles

Le travail d’Enrique Ramírez se situe dans cet interstice où la fiction et le réel s’enrichissent mutuellement. L’artiste questionne, par des moyens métaphoriques, notre monde et ses flux migratoires. Ses démarches variées frôlent l’ethnographie et la sociologie. Nourri par ses récoltes de témoignages sur l’identité, les divisions culturelles, la conception de la mort, il réalise des films et des installations dans une atmosphère poétique. L’artiste nous parle d’évènements historiques, navigue de la Mythologie à des événements du quotidien, opte pour le récit fictionnel transformant ainsi les prémisses d’une étude sociologique.

Les œuvres présentées à l’occasion de l’exposition «Cartographies pour marins sur terre» d’Enrique Ramírez découlent de ses démarches, de ses explorations. Tel un cartographe l’artiste rend compte, sur différents supports, d’un espace, la mer. Cet espace tenu pour réel est traité ici telle une métaphore. En effet, suite à sa collecte d’informations Enrique Ramírez les tisse, les superpose entre elles, telles des calques. Il rend ainsi compte de ses relevés. De délicates lignes tracées sur des plaques de verre ou des textes poétiques inscrits en dessous des vidéos viennent rehausser certains aspects. Les renseignements donnés sont des sensations, des situations géopolitiques, des flux migratoires… Une narration s’installe entre les vidéos, les photos et les dessins. Cet espace métaphorique est exprimé de façon concise et poétique nous offrant ainsi des échappées dans l’imaginaire.

Nous retrouvons donc l’eau, omniprésente dans le travail d’Enrique Ramírez en tant que fil conducteur. La mer et ses déchaînements reflètent là aussi la quête de soi. Évoluer dans une eau salée, avec tout ce qui en induit, entraîne une purification conduisant à la liberté. L’eau matérialise la circulation des idées, des savoirs, des échanges. Mais il y a encore l’idée sous-jacente que quelquefois l’eau peut être un obstacle, une frontière à tout ceci.

Cette fois-ci nous ne sommes pas témoins d’un départ mais d’un périple. La décision a déjà été prise. Nous éprouvons le fait que voyager revient à vivre l’essence de notre condition, à s’y livrer délibérément. Le déplacement est délicat aussi bien pour l’aller que pour le retour. Mais, à l’inverse d’Icare se grillant les ailes en s’échappant de son exil, les personnages d’Enrique Ramírez sont dans un état de semi-léthargie, d’engourdissement propice aux réflexions.

Alors que l’artiste s’est emparé de la mer en tant qu’espace immensément vaste son choix de présentation s’est porté sur des écrans de petites tailles créant naturellement une certaine intimité et préciosité du moment conté. En effet, le visiteur doit se rapprocher pour détailler ce qui lui est montré et signifié. Il découvre petit à petit des détails et bascule alors de l’autre côté, dans un autre monde. Tout comme il y est propulsé, brassé avec Et le Monde toujours s’en va. Les titres Nouveau monde ou IV Heaven confirment cet ailleurs. La Mer serait-elle donc ici annonciatrice d’une ère nouvelle en tant que métaphore d’un réenchantement du monde face aux crises actuelles ? La politique et l’intérêt de l’artiste pour les migrants et les exilés sont toujours bien présents. Une carte du monde imprimée sur les pages d’un passeport, une maison poussée sur l’océan voguant vers un ailleurs meilleur ? Le voyage dénonce ici des politiques et met en avant les personnes qui les subissent.

L’essence du travail d’Enrique Ramírez s’articule entre l’art, la sociologie et la politique. Ces deux dernières sont abordées au travers de faits réels, fictionnels et mythologiques proposant ainsi une déviation enrichissante. Le voyage, l’errance, ces surfaces aqueuses expriment un malaise actuel de l’individu, de l’artiste face à la crise économique, face à des crises politiques non réglées à ce jour. En cela il se rapprocherait du romantisme allemand. Le travail d’Enrique Ramírez est une contestation de systèmes politiques gâchant les relations humaines. C’est un regard face à un présent qui occulte son passé tout en torpillant son avenir.

Texte de Leïla Simon, mars 2014. Commissaire d’exposition independante et critique d’art.