Nous les arbres

Réunissant une communauté d’artistes, de botanistes et de philosophes, la Fondation Cartier pour l’art contemporain se fait l’écho des plus récentes recherches scientifiques qui portent sur les arbres un regard renouvelé. Nous les Arbres s’organise autour de plusieurs grands ensembles d’œuvres et laisse entendre la voix de ceux qui ont tissé, à travers leur parcours esthétique ou scientifique, un lien fort et intime avec les arbres. L’exposition est l’occasion de mettre en lumière la beauté et la richesse biologique de ces remarquables protago- nistes du monde vivant, aujourd’hui massivement menacés.

Après avoir été longtemps sous-évalués par la biologie, les arbres – comme l’ensemble du règne végétal – ont fait l’objet, ces dernières décennies, de découvertes scientifiques qui permettent de porter un nouveau regard sur les plus anciens membres de la com- munauté des vivants*. Capacités sensorielles, aptitude à la communication, développement d’une mémoire, symbiose avec d’autres espèces et influence climatique ; la révélation de ces facultés invite à émettre l’hypothèse fascinante d’une «intelligence végétale» qui pourrait apporter des éléments de réponse à bien des défis environ- nementaux actuels. En résonance avec cette «révolution végétale », l’exposition Nous les Arbres croise les réflexions d’artistes et de chercheurs, prolongeant ainsi l’exploration des questions écologiques et de la relation de l’homme à la nature, récurrente dans la programmation de la Fondation Cartier, comme ce fut le cas récemment avec Le Grand Orchestre des Animaux (2016).

Rythmé par plusieurs corpus de dessins, peintures, photographies, films et installations d’artistes d’Amé- rique latine, d’Europe, des États-Unis, mais également d’Iran, ou encore de communautés indigènes comme les Nivaklé et Guaraní du Gran Chaco, au Paraguay, ainsi que les Indiens Yanomami qui vivent au cœur de la forêt amazonienne, le parcours de l’exposition déroule trois fils narratifs: la connaissance des arbres – de la botanique à la nouvelle biologie végétale – ; leur esthé- tique – de la contemplation naturaliste à la transposition onirique – ; leur dévastation – du constat documentaire au témoignage artistique.

Orchestré avec l’anthropologue Bruce Albert, qui accompagne la curiosité de la Fondation Cartier depuis l’exposition Yanomami, l’esprit de la forêt (2003), le projet s’articule autour de personnalités qui ont développé une relation singulière aux arbres, quelle soit intellectuelle, scientifique ou esthétique. Ainsi, le botaniste Stefano Mancuso, pionnier de la neurobiologie végétale et défenseur de la notion d’intelligence des plantes, cosigne avec Thijs Biersteker une installation qui «donne la parole» aux arbres. Grâce à une série de capteurs, leurs réactions à l’environnement ou à la pollution, le phénomène de la photosynthèse, la communication racinaire ou l’idée d’une mémoire végétale rendant visible l’invisible, sont révélés. Au nombre éga- lement de ces grandes figures qui construisent le propos de l’exposition, le botaniste-voyageur Francis Hallé, dont les carnets de planches conjuguent l’émerveillement du dessinateur face aux arbres et la précision de l’intime connaissance du végétal, se fait le témoin de la rencontre entre la science et le sensible. Au cœur de la pensée de l’exposition, la relation de l’homme et de l’arbre devient le sujet du film de Raymond Depardon qui brosse, à travers les mots de ceux qui les côtoient, le portrait de ces platanes ou de ces chênes qui ombragent les places des villages et auxquels sont associés nombre de souvenirs, des plus personnels aux plus historiques. Artiste-semeur – il a planté quelque 300000 graines d’arbres dans sa vallée vendéenne –, Fabrice Hyber offre dans ses toiles une observation poétique et personnelle du monde végétal, interrogeant les principes de crois- sance en rhizome, d’énergie et de mutation, de mobilité et de métamorphose. Guidé davantage par l’esthétique d’une collecte intuitive que par la recherche d’une rigueur scientifique, l’artiste brésilien Luiz Zerbini compose des paysages luxuriants, organisant la rencontre imaginaire d’arbres empruntés à des jardins botaniques tropicaux et de signes d’une modernité urbaine. À cette exubérance picturale répond l’inventaire conceptuel et systématique de l’architecte Cesare Leonardi qui dresse, avec la complicité de Franca Stagi, une typologie des arbres, de leurs ombres et de leurs variations chromatiques, en un précieux corpus réuni en vue de la conception de parcs urbains. Les silhouettes fantomatiques des grands arbres de Johanna Calle symbolisent, avec poésie et délicatesse, la fragilité de ces géants menacés par une déforestation irréversible. Au drame de la destruction des vastes espaces forestiers de la planète, évoqué notamment par le film EXIT des architectes Diller Scofidio + Renfro, succède l’univers onirique de la cinéaste paraguayenne Paz Encina qui propose une image intériorisée de l’arbre comme refuge de la mémoire et de l’enfance.

Créé en 1994 par l’artiste Lothar Baumgarten pour la Fondation Cartier, le jardin prolonge naturel- lement l’exposition et invite à une flânerie. Ces arbres, comme le majestueux cèdre du Liban planté par Chateaubriand en 1823, ont inspiré à Jean Nouvel une architecture de reflets et de transparence, jouant sur le dialogue entre l’intérieur et l’extérieur, et faisant naître des «émotions furtives».

Niché dans la végétation tel un double discret de la nature, gardant sur son tronc la trace de la main de l’artiste, l’arbre de bronze de Giuseppe Penone a trouvé sa place dans le jardin de la Fondation Cartier, qui accueille à l’occasion de l’exposition la sculpture qu’Agnès Varda avait spécialement imaginée pour ce projet. Enfin, à l’automne, le Theatrum Botanicum deviendra, le temps d’une semaine, le support naturel d’une installation vidéo réalisée par Tony Oursler.
Rendant à l’arbre la place que l’anthropocentrisme lui avait soustraite, Nous les Arbres réunit les témoignages, artistiques ou scientifiques, de ceux qui portent sur le monde végétal un regard émerveillé et qui nous révèlent que, selon la formule du philosophe Emanuele Coccia, « il n’y a rien de purement humain, il y a du végétal dans tout ce qui est humain, il y a de l’arbre à l’origine de toute expérience ».

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